« Tout ce que vous croyez savoir sur l’addiction est faux ! »
Selon Johann Hari, notre vision de la dépendance serait complètement erronée et conduirait à une prise en charge non adaptée des personnes souffrant d’addiction… De quoi parle t’il ? Où aurions nous fait fausse-route ? Et surtout, comment faire face à la dépendance ?
L’addiction
L’addiction peut comprendre des dépendances très différentes, par exemple :
- aux drogues
- à l’alcool
- à la pornographie
- au sexe
- les achats compulsifs
- aux jeux d’argent
- au smartphone
- aux jeux vidéo
- au sport
- etc.
Par ailleurs, on dénombre (selon AddictAide) :
800 000 hospitalisations annuelles sont liées à la consommation d’alcool
70 000 décès sont liés au tabac chaque année
49 000 personnes meurent des conséquences de l’alcool chaque année en France
Il me semble donc que tout ce qui peut aider à la prise en charge de ses personnes est bon à savoir. Dans mon travail, je suis amenée à rencontrer et suivre des patients dits « addicts ». Pour les soigner il est généralement nécessaire d’avoir recours à une équipe pluridisciplinaire (médecin, psychologue, infirmière, éducateur, assistante sociale, kiné, etc.) mais pas seulement. L’entourage joue également un rôle important. Il se retrouve pourtant souvent démuni face à la dépendance de son proche, à ne plus savoir quoi faire pour l’aider.
Aujourd’hui, je vous propose une piste de réflexion avec un résumé de la conférence réalisée par Johann Hari que vous pouvez visionner ici (en anglais). Pas de panique, vous pouvez mettre les sous-titres en français. 😉
https://www.ted.com/talks/johann_hari_everything_you_think_you_know_about_addiction_is_wrong?language=fr
Pour quelle raison deviendrait-on dépendant ?
Johann Hari a connu la dépendance au sein de sa famille et le sentiment d’impuissance de ne pas parvenir à les aider. Il a alors réalisé qu’il ne savait pas ce qu’était l’addiction, ce qui l’a conduit à étudier le sujet. Dans ce but, il a interrogé des experts de la question mais aussi des personnes dépendantes.
Tout ce que l’on pense savoir sur les addictions est faux !
Le cœur de l’addiction serait que les personnes dépendantes ne supporteraient pas d’être présentes dans leur vie. Il cite Peter Cohen et sa proposition de changer la dénomination d’addiction au profit de celle d’attachement au produit. Il rappelle ainsi que les êtres humains ont un besoin naturel de lien avec autrui. Ainsi, lorsque c’est impossible, par exemple dans le cas de traumatisme précoce, la personne va se lier à une substance.
J. Hari évoque également le rôle endossé par la société. En effet, à l’heure de Facebook et des smartphones, les liens se distendent entre les individus. De plus, la société a mis en place un système de répression et de punition dans l’idée que cela motiverait les personnes souffrant d’addiction à arrêter. Depuis des années, la société punit, stigmatise et humilie ces personnes (selon les pays) et il faut bien reconnaître que cela ne fonctionne pas. Et pour cause, elle déconnecte encore plus ces personnes, aggravant de ce fait leur situation. Ces sociétés individualistes et punitives font ainsi le nid des addictions.
Ses arguments en faveur de l’attachement au produit ?
- De nombreuses personnes ont pris de la drogue sans vraiment le savoir. Si, si…. Peut-être que vous-même en avez consommé ou peut-être votre grand-mère ! Il s’agit de la morphine. Hari, met en avant que ces personnes ne deviennent pas dépendantes pour autant.
- Dans la conférence, il cite également l’expérience de Bruce Alexander. Ce dernier a montré l’importance de l’environnement dans l’addiction chez les rats. Une précédente étude avait constaté que des rats isolés dans une cage avec à disposition de l’eau normal et de l’eau avec de la drogue, consommaient la seconde jusqu’à en mourir. Alexander a mis en avant que les rats ne consomment pas de drogue de façon compulsive jusqu’à l’overdose lorsqu’ils sont placés dans une cage semblable à un parc d’attraction avec d’autres congénères. Pour Bruce Alexander, l’addiction ne serait donc pas une question « d’hameçon chimique » qui rend accro mais plutôt une question d’environnement.
L’addiction ne serait pas un problème de dépendance chimique.
- De même, Johann Hari prend l’exemple de la guerre du Vietnam, durant laquelle de nombreux soldats consommaient de la drogue. Or, 95% ont arrêté la drogue de retour chez eux et sans cure de sevrage.
- Enfin, au Portugal la consommation d’héroïne ne cessait de croître. Le gouvernement a fait appel à des scientifiques afin de trouver une solution à ce problème d’addiction. Le résultat a été de décriminaliser la prise de drogue MAIS de réinvestir les fonds mis dans le sevrage des toxicomanes dans des programmes de réinsertion : crédit pour ex-addict, création d’emplois, etc. L’objectif était de redonner un sens à leur vie, de recréer des liens et des relations et ainsi générer de la motivation. 15 ans après les résultats sont édifiant : 50 % de réduction d’injection de drogue, moins d’overdose et moins de transmission de VIH entre toxicomanes.
Comment aider une personne addict selon Hari ?
En conclusion, Johann Hari nous dit que « si l’addiction est un trouble de l’attachement, un manque de lien à autrui et à sa vie, le message à envoyer aux personnes souffrant d’addiction (que ce soit individuellement ou politiquement) devrait être un message d’amour. »
Alors oui, on ne va pas le nier, c’est dur d’aimer une personne addict parce-que cela génère beaucoup d’affects difficiles (colère, culpabilité, rejet, honte, sentiment d’impuissance, lassitude, etc.). Pourtant, face à la dépendance, la solution selon Hari serait de pouvoir dire :
« Je t’aime que tu consommes ou pas. Je t’aime quelque soit ton état, et si tu as besoin de moi, je viendrai m‘asseoir avec toi parce-que je t’aime et je ne veux pas que tu sois seul ou que tu te sentes seul. »
Mon avis ?
Je trouve personnellement ce point de vue super intéressant !!! En effet, on observe fréquemment chez ses patients une dépendance affective au delà de l’addiction ce qui va dans le sens des propos de J. Hari. On sait également que le soutien social et l’insertion sociale constituent un facteur prédictif majeur de maintien du changement lors de l’arrêt d’un comportement addictif.
Pour autant, il ne s’agit pas d’une solution miracle car de multiples facteurs entre en jeu. Il est indispensable d’agir sur les différents tableaux (contexte social, entourage, troubles psychologiques ou psychiatriques, etc.).
Reprenons ses arguments :
- Lorsqu’il évoque la morphine et les militaires, il ne précise pas que tout le monde n’a pas la même vulnérabilité face à l’addiction.
- L’environnement néfaste des soldats peut probablement expliquer l’initiation de la consommation. Y’a t’il pour autant une dépendance ? De plus, il évoque 95% de soldats qui ont arrêté de consommer mais quid des 5% restants ? Il est complexe de conclure sans connaître l’ensemble de la situation de ses personnes.
- Je pense qu’il est impossible de dissocier les causes génétiques, psychologiques et environnementales afin de savoir ce qui induit la dépendance.
→ Néanmoins, je trouve intéressant et même indispensable de ne pas résumer l’addiction uniquement aux aspects biologiques. L’amour, le soutien des proches est un élément fondamental dans la guérison des patients ! Après tout, rompre une addiction demande des efforts constants. La personne a besoin d’être épaulée, soutenue et de se sentir valoriser dans cette démarche difficile afin de poursuivre sur ce long chemin.
Et vous, que pensez-vous de la thèse de J. Hari ?
Pour aller plus loin sur les addictions :
Un article de Johann Hari sur le huffingtonpost.
3 réactions au sujet de « « Tout ce que vous croyez savoir sur l’addiction est faux ! » »
Bonjour,
j’ai lu avec beaucoup d’intérêt le sujet sur Johann Hari mais, le titre un peu trop provocateur et le fait que ce soit un journaliste -écrivain et non un scientifique m’avaient laissée un peu perplexe.
Toutefois j’ai l’impression qu’il a fait son enquête de manière tout à fait sérieuse et suffisamment vaste pour qu’il ressorte des éléments intéressants puisqu’il parle des expériences de toutes sortes recueillies dans différents pays. Tout ce qui va dans le sens d’apporter plus de soutien, plus de compréhension, plus d’attention aux malades est positif et pour cela je trouve que son travail mérite d’être salué.
D’ailleurs je vous conseille d’aller voir l’article de MEDIAPART: préface de » La Brimade des stups » de Johann Hari par le Pr Dautzenberg où il loue son travail!
Pour compléter les réserves que toi même tu émets, je vous invite à lire la réponse du Dr Alexandre Stipanovich à Johann Hari : vos 5 erreurs fatales sur l’addiction aux drogues
Article : http://www.huffingtonpost.fr/alexandre-stipanovich/erreur-addiction-drogues_b_6689412.html
Chacun pourra se faire son idée!
A bientôt pour un autre thème!
Très bon article… La réponse de Stipanovich par contre elle est archi nulle, puisqu’il ne fait que « l’ouvrir » sans jamais apporter une once de solution au problème. Bref complètement inutile. Il a rien capté au problème lui, alors que le gouvernement portugais si.
Contente que l’article vous ait plu. ^^
En effet Stipanovich ne propose pas de solution et c’est bien dommage mais je trouve tout de même intéressant, et nécessaire même, de rappeler l’importance du contexte de consommation ainsi que les mécanismes neurophysiologiques en jeu dans les addictions. Après comme je le dis dans l’article, une approche globale me semble indispensable.
Merci du commentaire 🙂 !